jeudi 4 avril 2013

Salut Maman.



J'y pensais tout à l'heure, à t'écrire. Mais IRL tu vois. Première question qui m'est venue : te la poster ou la filer à Mamy pour qu'elle te la remette?
Et logiquement : en parler?

Puis toujours les mêmes choses qui me turlupinent. A quoi ça sert? Tu comprendrais pas. Tu peux pas, tu veux pas, un bon mélange des 2. Je suis pas tellement sûre de vouloir le savoir.

Je suis fatiguée de penser à toi. Parfois ça va, t'es loin, une petite gène, comme quand je sens que mes doigts doivent craquer mais qu'un de mes annulaires résiste une trentaine de secondes. Parfois t'es obsédante et c'est toi que je vois dans le miroir ; ta gueule, tes formes, j'entends aussi ta voix en écho dans le téléphone.

C'est bien ça qu'est marrant au fond : si je te croisais, je ne te reconnaîtrais pas. T'as beaucoup maigri je sais, même si tes cheveux sont toujours aussi maigres, bien que sûrement plus longs, beaucoup plus longs. Je te revois toujours nageant dans tes bourrelets, les yeux complètement morts, balbutiante, ahurie. C'était toi qui ne me reconnaissait pas, avec mes cheveux courts noirs et bleus. J'te revois débordant sur ta chaise, à fumer pipe sur pipe, un verre à la main, ton lexomil près de ta souris, connectée au chat de rire et chansons. Complètement à côté de la plaque et inconsciente de la merde dans laquelle on vivait, littéralement. Je ne pense pas que tu aies conscience du nombre de fois où Papy a vomi en nettoyant, ni comment les mecs ont du en chier pour casser les sols à cause de l'odeur.

Soit dit en passant, tu ne me reconnaîtrais pas non plus. J'ai encore grandi, ma poitrine et mes hanches dégueulent un peu. Mes cheveux sont longs, j'ai une frange. Des piercings, ce que tu m'as toujours interdit. Un tatouage que je porte aussi un peu pour toi. Malgré toi, devrais-je dire.

M. Poil vient de m'envoyer un message pour mon anniversaire. Techniquement j'entre dans ma vingtaine à 19h55, mais il voulait être le premier à me le souhaiter.

Surtout, je t'en prie, n'appelle pas demain. Ou en tout cas, pas demain matin. Fais-le quand je ne serais pas là. Je veux pas que Mamie me regarde de côté, en faisant mine de me refiler le combiné. No way. Elle te dira que je suis à Rouen, comme d'habitude, et tu lui diras que tu veux m'écrire à la Pléiade, pour changer.

Putain, j'ai jamais foutu un panard à la Pléiade, c'était toi en deuxième année, ages ago.

J'revois Papa hein, on te l'a déjà dit. Suis-je toujours une traîtresse à tes yeux? Sûrement. J'ai pas envie de rentrer dans le débat : t'es incapable d'entendre, juste de fermer ta grande gueule (dont j'ai hérité) pour m'écouter 10 minutes.

Aujourd'hui je sais que mon père, je l'aime, j'ai rien à lui pardonner car il ne m'a jamais trahi, pas comme toi. J'ai envie de te pardonner tu sais. Je sais pas si je pourrais.
Puis te pardonner quoi? De m'avoir fait déposer une main courante contre mon père pour inceste? De m'avoir tabassé la gueule? De m'avoir fait mentir toute ma vie? De m'avoir rabaissé toute mon enfance par rapport à Paul, ton fils, l'homme de ta vie comme tu disais?

J'te déteste pas, bien au contraire. Putain Maman, tu me manques, je croyais pas ça possible. J'en ai découvert en 3 ans. Je t'ai découvert perfide et vile au possible. T'as détruit tous ceux que t'as côtoyé, tes gosses, tes parents, ta fratrie, ton mari, tes amants. D'autres que je ne connais pas.

T'es malade certes. Mais ça n'excusera jamais les puteries que tu as pu faire et tout ce que tu as pu brisé des années auparavant. Et pourtant, quelque part dans ma chair, tu me manques.

Peut-être qu'un jour, je t'appellerais. Ou je passerais te voir. Peut-être que je pourrais sourire en fermant ma gueule. Mais ça sous-entend trop de trucs, trop de réel. Peut-être que je serais prête à t'affronter et, par ce biais, m'affronter aussi un peu.

Ça me dégoûte toujours autant de te voir à travers moi. Je parle, ce sont tes mots. Je complote, tu me susurres à l'oreille.

Peut-être qu'un jour j'arriverais à faire la paix entre nous 2.

Ciao Maman.
Bon anniversaire ma gueule.

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